MASSIVart s’est occupé de la direction artistique et de la curation et est maintenant en phase de production pour deux installations distinctes qui seront livrées au printemps. L’une d’entre elles est une installation artistique à grande échelle, pour laquelle nous avons invité l’artiste et designer canadien Alexandre Berthiaume of Futil Inc. à créer une murale 3D de 450m².
Nous avons voulu lui donner la parole pour qu’il nous explique tous les tenants et aboutissants de cette installation exceptionnelle que nous avons hâte de découvrir en grandeur nature. Une discussion passionnante qui, nous l’espérons, vous rendra aussi impatients que nous !
Je mélange les disciplines depuis si longtemps que c’est presque naturel pour moi. Qu’il s’agisse de mes études d’architecture, la création d’un bureau de design industriel ou le développement en parallèle d’une performance multimédia en direct basée sur l’analyse du son par le biais de la programmation informatique, le tout sur une période de 10 ans. Je suis tombé dans la photographie de façon naturelle et j’y ai trouvé un excellent moyen de m’exprimer. Ce qui combine toutes ces pratiques est ma curiosité d’apprendre et chaque discipline nourrit l’autre. Je choisis souvent des expressions artistiques qui reposent sur une sorte de défi technique. Cela me passionne et me motive. Lorsque l’on travaille sur des projets de grande envergure qui ont tant de paramètres à prendre en compte, l’émotion et le message ne doivent jamais se perdre au profit de la technique.
L’œuvre d’art que j’ai créée pour The Summit s’appelle Fragments. Il s’agit de la représentation géométrique abstraite d’une montagne. Elle mélange des formes complexes sous la forme d’une pièce murale en trois dimensions. Je la vois comme une présence fragmentée qui impose la puissance, la force et l’immobilité. Elle est censée inspirer et aspirer à la grandeur. Sa volumétrie apporte du dynamisme à la surface plane du mur et impose sa place. Je me suis appuyé sur les études de la Tessellation de Voronoï, qui est un type de fragmentation géométrique que l’on retrouve souvent dans la nature. Cela me permet de créer un système de cellules qui est ensuite amplifié en volume par des facettes triangulaires. La lumière naturelle du soleil et l’éclairage artificiel se complètent pour créer une présence vibrante et dynamique. La finition en miroir amplifiera les interactions lumineuses, reflétant son environnement d’une manière attrayante et abstraite. Les gens pourront interagir avec la création et voir leur propre effet sur l’œuvre d’art. Celle-ci est composée de nombreuses dualités : lourdeur vs légèreté, fabrication humaine vs nature, mathématiques vs hasard organique. Je voulais créer un pont entre une vision futuriste et la permanence d’une montagne.
Le processus devait être rapide et je me suis donc appuyé sur des expériences passées. J’ai développé un processus que j’utilise pour tous mes projets. Il s’agit d’un processus en 3 phases. Tout d’abord, j’analyse tous les paramètres en profondeur. Le site, ses environs, le public, les besoins du client et le sentiment fondamental que l’œuvre d’art devra évoquer. Je passe ensuite en revue toutes les techniques et tous les matériaux de construction qui pourraient être utilisés et je me concentre sur un seul. Cette étape est cruciale et permet de gagner beaucoup de temps. Créer quelque chose qui ne sera pas réalisable n’est pas productif. C’est aussi à cette étape que la partie technique va me donner un langage pour exprimer mon message. Puis pour la dernière partie, et c’est là que la magie opère, je m’arrête et je laisse tout mariner dans ma tête. C’est toujours dans un coin de ma tête pendant des jours. La solitude est nécessaire à cette étape et je médite aussi. Une solution qui réunit tous les éléments a fini par émerger. Je m’appuie sur mes expériences passées et mes réflexions pour trouver la bonne solution. Les projets non construits sont aussi importants que les projets construits en raison du temps passé à réfléchir aux idées. Fragments en est un bon exemple, car il a permis de finaliser un concept que j’avais initialement imaginé pour un autre projet. J’ai passé pas mal de temps à comprendre comment générer une tessellation de Voronoï, mais aussi comment l’interpréter de manière tridimensionnelle. Il s’avère que ce projet était le mieux adapté pour approfondir ces études.
Il y en a pas mal en fait. Je ne l’ai pas mentionné auparavant, mais il y a une ressemblance entre l’œuvre et la face nord du volcan Popocatepetl, près de Mexico. Lorsque je me suis concentré sur l’interprétation d’une montagne, j’ai commencé à faire des recherches sur la géographie de la région. Je voulais me faire une idée du paysage dans son ensemble. Je suis alors tombé sur ce volcan et j’ai été touché par sa mythologie. Dans la mythologie aztèque, Popocatepetl était un guerrier amoureux d’une princesse nommée Ixtaccíhuatl. Le père d’Ixtaccíhuatl envoya Popocatepetl tuer un ennemi de leur tribu, lui promettant la main de sa fille s’il revenait victorieux, mais sachant l’exploit impossible. Après avoir accompli sa tâche avec succès, Popocatepetl mourut de chagrin en apprenant qu’Ixtaccíhuatl était également morte de chagrin en entendant la fausse nouvelle de sa mort. Ayant pitié de leur sort, les dieux ont recouvert leurs corps de neige et les ont transformés en montagnes. L’autre lien est un peu plus proche et il s’agit en fait du quartier de Santa Fe. J’ai été charmé par la vision futuriste de ce quartier où les gratte-ciel s’entremêlent avec de superbes parcs contemporains. Je savais que le mélange de nature et de technologie de l’œuvre d’art serait parfaitement adapté.
L’ampleur du projet n’est pas un défi en soi, mais elle influe certainement sur le choix des techniques de fabrication et des matériaux. Les pièces pré-construites doivent être planifiées à l’avance afin de minimiser le temps de travail sur le site. C’est la raison principale pour laquelle j’ai divisé la pièce en cellules afin que chaque élément ait une taille plus gérable. Cela permet également une certaine flexibilité et une marge d’erreur, au niveau de l’installation. Une chose que je fais avec toutes mes créations est de les visualiser à différentes distances. Il faut penser à l’expérience de loin – et à cette échelle, on doit être vraiment loin ! – et à l’expérience de près. Ainsi, depuis la rue, on peut avoir une vue d’ensemble et une composition globale. Lorsque vous vous en approchez, vous commencez à avoir une idée de son échelle. C’est de plus en plus impressionnant. Une fois que vous êtes proche d’elle, vous saisissez toute sa tridimensionnalité, sa complexité. Enfin, sur la mezzanine, vous avez une vue d’ensemble de tout cela – une vue à vol d’oiseau qui met en valeur la réflexion de l’environnement renforcée par toutes les personnes qui passent.
Cruciale ! Il n’y a pas beaucoup de choix de matériaux avec une finition miroir. Et si l’on tient compte d’un budget raisonnable et d’une solution nécessitant peu d’entretien, seuls les développements récents en matière de matériau composite pouvaient faire l’affaire. Nous devions ensuite trouver un fabricant qui non seulement pouvait travailler avec ce matériau, mais qui n’avait pas peur de ce défi complexe. Le matériau devait également être relativement léger, car la structure ne touche pas le sol. Nous avons dû construire sur l’un des principaux éléments structurels du bâtiment. C’est un élément massif, mais nous devions en préserver l’intégrité.
Je veux surtout que les gens se sentent à nouveau comme des enfants. Je voulais qu’ils ressentent une sorte de pouvoir et de force. D’une part par la magnitude pure de la pièce et d’autre part par le mystère de sa fabrication. Elle est immobile mais on peut sentir le passage du temps dans ses reflets. Une montagne a une signification pour chacun. Un défi pour les courageux. Un endroit paisible pour l’amoureux de la nature. Un endroit majestueux pour le peintre. Et même un endroit effrayant pour d’autres. Une montagne est une chose stable et résistante au temps et une analogie parfaite pour un gratte-ciel.
Pour moi, cette œuvre est probablement la meilleure représentation de ce qui fait ma force à ce stade de ma carrière. Il s’agit essentiellement de l’amalgame de 20 ans de recherches et d’efforts. J’ai passé d’innombrables heures à apprendre à travailler avec les derniers outils 3D pour être capable non seulement de créer de telles choses mais aussi de les communiquer aux constructeurs. Mes études d’architecte m’ont permis de comprendre le contexte et la physicalité du bâtiment. Mon travail de designer industriel m’a amené à comprendre différents matériaux et à apprendre des techniques de soudage pour mieux communiquer avec un constructeur. Mon travail d’artiste multimédia m’aide à comprendre le facteur temps d’une œuvre d’art et à la rendre évolutive grâce à son éclairage. Enfin, il s’agit de comprendre un client et ses besoins. Il est important pour un artiste de s’exprimer, mais sur des projets comme celui-ci, il faut toujours tenir compte de l’objectif initial. Et parfois, cela vous mène vers de nouvelles voies intéressantes et vous fait grandir.